La petite conteuse de l’autre monde
Cette histoire ci est très longue, si tu n'as pas un bon quart d'heure devant toi attend reviens plus tard pour la lire...
C’était un jour d’été, un long dimanche baigné d’un soleil de plomb. La ville était comme endormie, anesthésiée par une écrasante chaleur.
Presque une ville fantôme.
Les gens ne sortaient pas, ils restaient dans la tiédeur de leurs maisons ou alors partaient se rafraîchir à la plage, bronzer sur le sable brûlant au milieu d’une foule compacte et se noyer dans des eaux verdâtres et froides. D’autres choisissaient le parc et l’atmosphère apaisante de ses grands arbres, l’ombre rafraîchissante d’un feuillage coupé au carré, le murmure d’une cascade scintillante déversant son eau sale dans les canaux rectilignes.
Elle avait opté pour une autre solution…
Loin de la foule, du vacarme et de l’agitation, elle était seule, baignée d’ombre et de fraîcheur, allongée à même l’asphalte. La grande dalle de béton lui cachait le ciel, dans le but écrasant de la rendre plus petite qu’elle ne l’était. Le moindre bruit résonnait, et lui revenait, amplifié, comme dans la grande cathédrale où elle aimait tant rompre avec l’atmosphère frénétique de la ville. D’énormes poteaux massifs et bruts soutenaient la dalle du parking sous lequel elle s’était réfugiée.
La jeune femme était détendue, les bras le long du corps, la paume de ses mains délicates reposant sur le sol rugueux, parfois adouci par la marque lisse d’un vieux chewing-gum. Le bitume était dur mais elle trouvait sa position confortable, son esprit commença alors à s’égarer vers de lointaines contrées, dissipant le flot de pensées futiles qui s’entasse habituellement dans nos têtes.
Une sonnerie stridente retentit.
Elle sortit son portable de la poche de son jeans pour lire le message.
C’était sa mère.
« Le voisin passe nous voir en soirée avec sa femme et ses enfants. Rentre rapidement je vais avoir besoin de toi !!! »
Il était quatorze heures, elle se dit que sa mère se débrouillerait très bien sans elle. Elle appuya sur quelques touches de son pouce expérimenté et le portable s’éteignit.
Le silence s’installa de nouveau. Elle se reconcentra et se détendit, fermant les yeux et laissant son esprit s’évader une fois de plus vers un autre monde. Elle rêvait que son corps puisse lui aussi voyager vers ce pays imaginaire, que chaque partie de son être, même la plus infime puisse se détacher des autres en un petit nuage qui survolerait les mers et les montagnes, les prairies et les vallées.
Un écran noir apparut alors devant ses yeux fermés, des lettres dorées y apparaissaient progressivement, formant quelques mots.
Elle les prononça, à mi-voix.
A peine avait-elle refermé ses lèvres qu’un voile brumeux surgit du sol, s’élevant dans le parking, de plus en plus épais. Rapidement tout avait disparu dans ce nuage opaque. Elle ne voyait même plus ses pieds.
Une minute passa, puis deux, et enfin une légère brise souffla sur le parking, dispersant rapidement l’épais rideau blanc.
Au milieu de celui-ci, il n’y avait plus personne.
Très loin de là, une jeune femme reprenait conscience. Son dos était humide et une herbe grasse lui chatouillait la paume des mains. Une chose visqueuse et gluante se baladait sur son visage.
Elle ouvrit les yeux.
Un gros mouton cotonneux lui faisait face, s’appliquant méticuleusement à nettoyer chaque parcelle de sa peau blanche, du nez aux oreilles.
Elle se releva brusquement, dégoûtée par cette langue baveuse, et insulta l’audacieuse bête qui s’enfuit avec trois de ses congénères. Une voix forte tonna alors dans son dos, la faisant sursauter.
« Ca ne va pas de dire ça, ils t’ont rien fait ces animaux !!! »
Elle se retourna aussitôt mais il n’y avait personne dans l’horizon dégagé, hormis un troupeau de moutons et un grand chien noir près d’eux. Celui-ci la regardait fixement, presque dans une attitude de défi. Elle soutint son regard. Puis, comme lassé de cette joute silencieuse, l’animal détourna la tête et s’en alla, suivi de son troupeau.
Sans trop savoir pourquoi elle décida de les suivre.
Ils marchaient depuis longtemps déjà, depuis des heures. Le troupeau avançait tranquillement, paisiblement, prenant parfois le temps de brouter quelques touffes d’herbes grasses, et la jeune curieuse les suivait, d’assez loin d’ailleurs, comme pour ne pas déranger.
Les collines se succédaient à une cadence qu’elle jugeait trop lente. Les vastes prairies enherbées et les landes qui avaient d’abord flatté son regard lui semblaient maintenant bien monotones. Il n’y avait presque pas d’arbres. Seuls quelques buissons poussant sur des talus caillouteux donnaient un peu de vie à ce paysage.
Elle était fatiguée.
Et pourtant elle marchait encore, suivant le chien et ses moutons partout où ils allaient.
Le jour commençait à décliner et son corps n’obéissait plus aux ordres. Ses jambes étaient devenues si lourdes qu’elle arrivait à peine à les soulever. Elle était tellement exténuée qu’elle songeait sérieusement à s’arrêter, au point même de laisser le chien continuer seul sa lente course vers un endroit qu’elle ne connaissait pas.
Mais c’est ce moment que choisit un petit bruissement pour se faire entendre. Intriguée, elle écouta un peu plus attentivement. Le bruissement devint un son, puis une musique. Des notes mélodieuses s’envolaient dans l’air du soir pour envahir ses oreilles. Un chant mélancolique s’éleva alors, triste et magnifique.
Le troupeau était près d’une petite rivière. La jeune femme s’approchait quand un cygne blanc sortit de l’ombre, nageant silencieusement sur l’eau rougie par le soleil couchant. Elle chercha à s’approcher encore, pour être plus près de lui, pour le toucher, le caresser, mais il fuit la rencontre et s’envola vers le crépuscule, emportant avec lui chant et musique merveilleuse.
Alors qu’elle se relevait, le paysage lui sembla tout à coup beaucoup moins stable, tout bougeait, tournait et un affreux bourdonnement lui emplissait la tête. Vaincue par la fatigue et les vertiges elle s’écroula au bord de l’eau.
Alors qu’elle reprenait conscience, elle se rendit compte qu’elle était à cheval sur un grand bélier, plutôt confortable. Le quart de lune éclairait suffisamment les environs pour qu’elle puisse voir tout le troupeau en marche, toujours dirigé par le grand chien noir. Elle distingua même au loin dans l’obscurité la forme d’un petit village.
Arrivés tout près de la civilisation, elle descendit de sa monture de fortune et laissa ses guides s’éloigner. Le ventre vide et la fatigue revenant à grand pas, la jeune femme se rapprocha des habitations. Il n’y avait personne dans les ruelles, pas plus que dans les chaumières d’ailleurs.
Elle se balada un peu entre les maisons, frappant à chaque porte dans l’espoir de trouver une bonne âme qui l’inviterait à manger et à dormir.
Personne n’ouvrit.
Mais une lumière au fond du village attira son regard. Cela semblait provenir d’un des plus grands bâtiments.
Elle avança vers la porte restée entrouverte et saisit la poignée. Malheureusement, un autre avait fait la même chose de l’autre côté, chargé en plus d’un grand plateau de nourriture.
L’inévitable se produisit.
Sans même avoir eu le temps de comprendre ce qui leur arrivaient, ils se retrouvèrent par terre, dans un grand fracas de quincaillerie, bientôt suivit par les rires de l’attroupement qui s’était formé autour d’eux. Il est vrai qu’il y avait de quoi se réjouir. Le jeune homme était étalé sur la terre boueuse, les quatre fers en l’air, tandis qu’elle se trouvait assise, l’air bête, une casserole sur la tête laissant s’échapper une sauce aux marrons sur ses longs cheveux bruns.
Un homme se détacha des autres et les aida à se relever, puis lui demanda qui elle était.
Encore un peu étourdie, elle regarda sans comprendre le gros homme qui lui faisait face, vêtu d’une tunique de lin épaisse et d’un tablier en cuir tacheté de traces de brûlures. Elle ne put s’empêcher de lui trouver immédiatement un petit air porcin avec ses cheveux rasés et son nez retroussé. A ses pieds, le gros chien noir la regardait d’un air désintéressé.
L’homme lui redemanda d’où elle venait.
Alors qu’elle commençait à lui répondre et à lui raconter son aventure, les paysans l’empoignèrent par les bras, l’écartelant presque, pour l’entrainer dans le grand bâtiment. Ils n’avaient qu’un seul mot à la bouche, et ils le criaient, le chantaient à tue tête.
Ils voulaient une histoire.
La pièce dans laquelle ils l’amenèrent était immense. Une grande table en bois massif trônait au centre, dans l’axe de l’immense cheminée où rôtissaient quelques plats. Des gamins, excités par l’attente, couraient partout dans la salle, jouant autour de la table, sautant sur les murs, rampant entre les jambes, tant et si bien qu’ils finirent immanquablement par se taper la tête dans les pieds de la table.
Le gros homme à tête de porc lui remplit allègrement une assiette, sans toutefois la lui donner. Elle devait d’abord raconter son histoire.
Affamée, elle fut obligée d’accepter. Elle avait le trac mais heureusement elle avait toujours aimé lire. Toute petite déjà elle faisait chanter ses parents pour qu’ils restent le soir lire dans son lit. Elle les forçait parfois à rester des heures. Il faut dire que son arme était redoutable : elle savait très bien pleurer. Et en faisant beaucoup de bruit. Et si la fessée venait à la place, elle pleurait de plus belle, sans s’arrêter. Elle eut toujours le dernier mot, jusqu’à ce qu’elle sache lire correctement. Plus besoin des parents, elle dévorait littéralement tous les livres qui lui tombaient dans les mains. Du coup, elle devint aussi très solitaire, souvent exclue par les autres. Mais elle s’en moquait, elle préférait la compagnie de ses amis de papier et évitait de plus en plus en plus le contact avec le genre humain.
Et voilà que maintenant c’était son tour de raconter des histoires. Son histoire.
Un désastre.
Sa voix grésillait, manquait de puissance, de profondeur. Elle écorchait les mots, oubliait des passages…Bref un fiasco. Mais un fiasco qui lui valut tout de même un repas, comme le lui avait promis le gros homme.
Elle mangea donc, avec beaucoup d’appétit, sans adresser la moindre parole à ses voisins. Son repas terminé, elle resta longtemps silencieuse, puis se décida à demander à la tête de porc s’il pouvait l’héberger pour la nuit.
Sa réponse la sidéra complètement. Mais la pluie qui avait commencé à tomber au début du repas, prit de l’ampleur et le vent choisit ce moment entre tous pour s’engouffrer à travers la porte.
Elle fut obligée d’accepter.
Elle devait raconter des histoires toute la nuit, tant qu’il y avait des hommes réveillés pour l’écouter. C’était le prix à payer pour pouvoir dormir confortablement dans le tas de paille de la grange.
Elle prit alors un tabouret et vint s’installer au chaud, près du feu crépitant. Les paysans s’assirent autour d’elle, les enfants au premier rang. Sa récente nomination en tant que conteuse officielle du village lui rappela le chantage qu’elle fit endurer pendant de longues années à ses parents. Elle comprit mieux ce qu’elle leur fit subir. C’était son tour maintenant.
La nuit passa donc au rythme des histoires, souvent des mythes ou des légendes, son rayon préféré. Pas un dieu grec ne lui était inconnu, ni aucun héros romain, pas plus qu’un seul guerrier celte. Les contes s’enchaînaient, faisant voyager les spectateurs autour du monde. Chinois, Maya, Indiens, Bretons, tous y passaient.
Puis au fur et mesure de ses récits, elle commença à s’améliorer, assez en tout cas pour en maintenir deux ou trois éveillés jusqu’au chant du coq. Le gros homme l’autorisa alors à aller se coucher dans la grange.
Elle se réveilla vers midi, au milieu de la paille, le grand chien noir blotti contre ses jambes. Elle caressa un peu ses longs poils rêches, puis s’écarta doucement pour ne pas le réveiller. Elle sortit en silence et se dirigea directement vers la sortie du village, courant presque pour ne pas croiser un de ces habitants bizarres. Mais à peine avait-elle passé la dernière maison que le chien se dressait là, devant elle.
Il l’empêchait de continuer.
Il n’avait rien de menaçant, ni d’intimidant, mais il se trouvait là, et il ne souhaitait qu’une chose : qu’elle reste. Il ne la laisserait pas partir. Elle n’eut d’autres choix que de rentrer à la grange et de se rendormir, le chien couché à ses côtés.
Ce soir-là, comme cela allait devenir plus tard un rituel incontournable, elle conta encore, pour payer son repas et son coucher.
Malgré les allures de prison que prenait le village, elle prit goût à raconter des histoires et s’améliora de nuit en nuit, maîtrisant de plus en plus toutes les tonalités de voix, faisant même parler plusieurs personnes en même temps. Elle apprit comment faire des bruitages qui donnaient vie au récit, le bruit de la pluie, du vent dans les feuilles, et même, plus spectaculaire encore, le bruit de la neige qui tombe.
Tous étaient charmés.
Et le chien était certainement son plus fidèle spectateur. Toujours aux premières loges, aux pieds de la jeune conteuse, il écoutait attentivement, dressant l’oreille dès qu’un passage semblait l’intéresser.
Une personne pourtant ne partageait pas l’engouement général, préférant de loin quitter la salle dès la fin du repas plutôt que de s’installer avec les autres autour de la cheminée.
C’était la fille du gros homme.
Mais les mois passaient et la jeune femme trouvait toujours de nouvelles histoires à raconter. Parfois elle en inventait, passant ses journées à les peaufiner pour pouvoir les dire aux paysans une fois la nuit tombée. Pourtant, même si elle prenait du plaisir dans cette prison dorée, sa maison lui manquait. Sa mère surtout. Elle se surprenait de plus en plus souvent à se souvenir de sa vie d’avant, du peu d’amis qu’elle avait eus, puis délaissés pour des livres poussiéreux. Quand elle dormait, elle rêvait de son retour, le parking, la ville, la canicule, les voisins, tout ce qu’elle ne supportait pas mais qu’elle voulait quand même retrouver.
Cependant, la rumeur qu’une conteuse exceptionnelle sévissait dans un petit village perdu dans les landes commença à attirer beaucoup de monde. Le gros homme qui l’accueillait y trouva alors un moyen rapide d’arrondir ses revenus de forgeron. Certes il était très exigeant et très doué, ne laissant jamais une pièce quitter sa forge sans y avoir apporté auparavant sa petite touche personnelle, le coup de marteau qui faisait qu’un bout de métal de même forme était meilleur chez lui que chez ses confrères, mais il était aussi trop gentil. Il acceptait toujours d’être payé avec quelques poules, des œufs ou de la confiture. Du coup, il ne s’enrichissait pas beaucoup, au grand dam de son ambitieuse fille, qui d’ailleurs échappait à son perfectionnisme.
La jeune conteuse la soupçonnait d’ailleurs d’être à l’origine du marchandage qui se faisait autour d’elle. Mais même si cela ne lui plaisait guère, elle était malheureusement obligée de les laisser faire payer les auditeurs de ses histoires.
La rapidité avec laquelle le gros homme s’enrichit était surprenante. Il faut dire que le nombre d’intéressés augmentait chaque jour. Les villageois avaient même du construire un autre bâtiment, spécialement pour elle et ses spectateurs, abolissant en même temps l’ambiance conviviale et chaleureuse qui régnait près du ronronnement de la cheminée.
De plus en plus intriguée par l’intérêt qu’on lui portait à elle et surtout à ses histoires, elle ne put s’empêcher un soir, de demander des explications au gros homme. Il lui avoua que leurs vies de simples paysans sur ce monde étaient si monotones, si dénuées d’intérêt, que les histoires leur permettaient de s’évader et de vivre de grandes aventures. Mais comme personne dans cette région ne connaissait l’adrénaline qui habite les héros, personne n’était capable de faire s’envoler leurs esprits vers de lointaines contrées. C’est pour cela que les conteurs, même mauvais étaient très recherchés.
D’autres semaines passèrent encore et le flot des gens assoiffés de contes ne faiblissait pas. Mais à celui-ci commençait à se mélanger une autre foule, celle des prétendants attirés par la fille du gros homme ou plutôt par sa fortune.
Depuis qu’il s’était enrichi, il la gâtait et la chérissait autant que l’on gave une oie, et cela ne donnait rien de bon. Elle était odieuse et capricieuse, avec tout le monde, y compris ses pauvres soupirants.
Arrivés tôt le matin, plein d’espoir, les yeux brillant de la vision d’une montagne de pièces d’or, ils repartaient le soir, fourbus, courbaturés pour avoir cédé à tous les caprices de la princesse. Tous pensaient que ce jeu de petite peste aurait pu durer très longtemps mais c’était sans compter ce nouveau venu.
Un homme en tunique noire.
La jeune conteuse l’avait vu arriver de loin. Elle l’avait observé du haut de la grange où elle venait de se réveiller, il s’était rapproché rapidement, monté sur son cheval à la robe d’un rouge sanglant. Elle était immédiatement tombée sous son charme. Il était beau, l’allure noble, le visage fier inspirant le respect. Il avait tout du prince charmant dont rêve toutes les petites filles, en particulier celles qui passent leur temps à lire des histoires.
Mais lui ne s’intéressait pas à la petite rêveuse. Il était aussi attiré que les autres par la fille du gros homme et par sa dot.
Bousculant un peu les autres courtisans, il se dirigea immédiatement vers la jeune ambitieuse, sous le regard amusé des autres prétendants. Tous s’attendaient à ce qu’il subisse ses caprices mais il n’en fut rien. Il lui baisa frénétiquement la main d’un petit air arrogant, puis lui proposa de l’emmener en promenade sur son fier destrier. Séduite par ses manières hautaines, elle accepta.
A leur retour ils avaient décidé de se marier.
Le village s’organisa alors pour préparer la grande fête. Même si le marié ne convenait qu’à très peu de monde, un mariage était un événement important et se devait d’être célébré dignement, c’est-à-dire pendant une semaine au minimum. La première nuit, personne ne demanda à la jeune conteuse de raconter de nouvelles histoires, tous étaient trop saouls pour comprendre le moindre récit. Le deuxième soir, ce fut pire encore.
La troisième nuit, elle dut payer son repas.
Elle s’installa près du feu, au centre de la grande tente qui avait été montée spécialement pour le mariage, et chercha dans sa mémoire une histoire qu’elle n’avait pas encore contée. Mais aucune ne venait. Et occupée par la fête elle n’avait pas non plus eu le temps d’en inventer. Prenant son temps pour s’installer, elle chercha quel récit pourrait être raconter une deuxième fois. Son auditoire commençait à s’impatienter et elle ne savait toujours pas lequel choisir. Elle allait commencer quand un incendie se déclencha dans le village.
Catastrophés, les villageois sortirent immédiatement du chapiteau pour tenter d’éteindre le feu qui menaçait le village entier, mais ils n’étaient pas encore assez sobres pour en être capable. Alors, dans un état second, ils restèrent regarder leurs maisons partir en fumée.
Après quelques minutes, le cheval rouge sauta par-dessus un mur de flammes, avec sur son dos les jeunes mariés riant à gorges déployées.
Ils étaient coupables.
Ils avaient tout brulé. Le choc était rude et ils eurent du mal à encaisser. Ils s’éloignèrent un peu du monstre de flamme pour se réconforter pendant que les traitres disparaissaient au loin dans l’obscurité.
Quand elle se réveilla le matin, au milieu des cendres, tout le village dormait près des ruines, à même le sol, sans toit. Ils s’étaient tous blottis les uns contre les autres, pour avoir plus chaud, ou parce que la faible distance les réconfortait. Elle, avait été laissée à l’écart.
Même le chien l’avait abandonnée.
C’était un signe. Elle prit rapidement ses affaires et s’enfuit dans les collines, heureuse. Enfin elle quittait ce village de fous. Elle courut tout droit, sans s’arrêter, sautant par-dessus les murets de pierres ou les ruisseaux, sans se préoccuper de sa direction. Mais brusquement elle s’arrêta. Certes, elle s’était enfuie, mais elle ne pouvait pas rentrer chez elle. Elle ne savait pas rentrer chez elle. Elle sentit le désespoir s’emparer de son corps, comme un lierre qui grimpe sur un tronc, suçant son énergie vitale.
Désemparée, elle s’assit au pied d’un vieil arbre solitaire et pleura, longtemps.
Le sol tremble.
Au loin sur la plaine, les villageois la cherchent, le grand chien noir à leurs côtés. Il est plus grand que d’habitude, plus grand qu’un homme.
Il l’a vue.
Elle veut se lever pour s’enfuir mais ne peut plus bouger.
L’arbre a déployé ses racines autour de ses jambes et de ses bras pendant qu’elle pleurait. Elle ne s’en est même pas rendu compte.
Les villageois se rapprochent rapidement.
Elle est prisonnière.
Derrière eux, un grand cheval rouge arrache des gerbes de flammes à la terre.
Elle se débat.
Violemment.
Les racines et les branches s’enlacent de plus en plus autour de son corps. Ses jambes et ses bras en sont couverts.
Le sol se ramollit.
Comme des sables mouvants.
Un cygne blanc vole au-dessus d’elle. Un vautour
Elle se débat et s’enfonce de plus en plus. Seule sa tête dépasse maintenant.
Et le chien noir est à moins d’un mètre.
Elle disparait dans le sol.
La dernière chose qu’elle voit avant de plonger dans l’obscurité c’est son regard suppliant.
Elle voit à quel point ce chien l’aime.
Elle aussi elle l’aimait bien cet animal finalement.
Mais maintenant tout est obscur.
Tout est noir.
Elle ouvrira de nouveau ses yeux. Il fera chaud et le sol sera dur. La brise lui ramènera des relents d’essence et de goudron. Elle sera au milieu d’un parking. Elle allumera son portable, il sera dix-sept heures. Elle se rappellera que sa mère a besoin d’elle et pensera que ses voisins pourraient apprécier un petit conte venu d’ailleurs.